LA PAROLE DE L’AVOCAT : SERVE OU LIBRE ?
La condamnation d’un avocat pour avoir, juste après le prononcé d’un verdict, imputé publiquement à un jury criminel une partialité résultant de préjugés raciaux, a été jugée disproportionnée par la Cour Européenne des Droits de l’hommes.
CEDH 19 avr. 2018, Ottan c/ France, n° 41841/12
Pour avoir prononcé les paroles suivantes après qu’une course d’assises ait acquitté un gendarme comparaissant pour violences volontaires ayant entraîné la mort d’un jeune homme dans une course poursuites:
j’ai « toujours su qu’il [l’acquittement] était possible. Un jury blanc, exclusivement blanc, où les communautés ne sont pas toutes représentées (…) la voie de l’acquittement était la voie royalement ouverte, ce n’est pas une surprise »
L’avocat était convoqué devant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d’appel de Montpellier pour avoir manqué aux principes déontologiques essentiels de sa profession, notamment de délicatesse et de modération, par des propos tenus publiquement et imputant à la cour et aux jurés une partialité raciale.
Le Conseil de discipline l’a relaxé.
Le procureur général a fait appel.
La Cour d’appel estima que les manquements déontologiques étaient caractérisés et prononça un avertissement contre l’avocat.
La Cour de Cassation saisie par l’avocat rejeta son pourvoi estimant que les paroles qu’il avait formulée publiquement à l’annonce du verdict, prononcées en dehors du prétoire, n’étaient pas couvertes par l’immunité judiciaire bénéficiant aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions.
L’avocat saisit alors la Cour de Strasbourg invoquant la violation de son droit à liberté d’expression prévu à l’article 10 de la Convention européenne.
La Cour estime finalement cette sanction disproportionnée.
Elle rappelle que la défense d’un client peut, dans certaines circonstances, se poursuivre hors des prétoires si plusieurs conditions sont remplies :
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si les propos ne constituent pas des attaques gravement préjudiciables à l’action des tribunaux,
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s’ils ne dépassent pas le commentaire admissible et s’appuient sur une base factuelle solide,
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si l’avocat s’exprime dans le cadre d’un débat d’intérêt général et s’il a exercé les voies de recours disponibles.
S’appuyant sur ces critères, la Cour note d’abord que « la déclaration litigieuse prononcée à la sortie de la salle d’audience, s’inscrivait dans une démarche critique pouvant contribuer à ce que le procureur général fasse appel de la décision d’acquittement », afin de disposer d’une possibilité de proroger la défense de son client.
Elle rappelle ensuite que « le public a un intérêt légitime à être informé et à s’informer sur les procédures en matière pénale, et que les propos relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire concernent un sujet d’intérêt général » et juge que « les propos reprochés {à l’avocat}, qui concernaient le fonctionnement du pouvoir judiciaire, en particulier la procédure devant la cour d’assises avec participation d’un jury populaire, et le déroulement d’un procès criminel portant sur l’usage des armes à feux par les forces de l’ordre, s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général ».
S’agissant de la nature des propos la nature des propos, la Cour estime que bien que connotés négativement, « ils se rapportaient davantage à une critique générale du fonctionnement de la justice pénale et des rapports sociaux qu’à une attaque injurieuse à l’égard du jury populaire ou de la cour d’assises dans son ensemble », rappelant que la liberté d’expression vaut aussi pour les informations ou idées qui « heurtent, choquent ou inquiètent ».
Enfin, la Cour relève que les propos s’inscrivaient dans un contexte de grande tension sociale ayant atteint son paroxysme, près de six ans après les faits, avec le verdict de la cour d’assises, les faits ne permettant pas d’établir, selon elle, une atteinte à l’autorité du pouvoir judiciaire suffisante pour justifier la condamnation de l’avocat.
Et à ce titre, elle souligne que bien que la sanction prononcée contre l’avocat ait été la plus faible possible, elle n’est pas neutre et ne saurait justifier, à elle seule, l’ingérence subie par l’avocat.
Victoire de notre liberté d’expression ou brèche dangereuse?