Ecoutes : la fin ne justifie pas les moyens.
UN PEU DE DROIT
Dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire, le Procureur ou le Juge d’instruction peuvent demander aux policiers en charge de l’enquête de recueillir des éléments utiles à la manifestation de la vérité.
Parmi les moyens de récolte des preuves figurent les écoutes qui ont toujours fait débat s’agissant d’une intrusion dans la vie privée qui apparaît pour certains contestable voir même abusive eu égard au but recherché.
Un autre débat est celui de la loyauté dans la récolte de cette preuve.
La justice française n’admet pas l’utilisation de stratagèmes ou de machination de nature à déterminer la commission d’un crime ou d’un délit car elle porte atteinte au principe de la loyauté des preuves et qu’il n’est pas exclu que sans ce stratagème, le délit ou le crime n’aurait peut-être jamais été commis.
Cela s’applique aux infiltrations mais également aux écoutes qui sont plus répandues et utilisées.
Apportons ici un éclairage sur la légalité des écoutes téléphoniques et sonorisations sous le prisme de deux affaires de justice qui ont fait grand bruit récemment dans la presse…
Il y a quelques mois de cela, deux affaires ont défrayé la chronique, l’une dans le milieu du football français, l’autre dans le milieu de la presse française à l’international.
L’affaire du chantage à la Sextape dont aurait été victime Mathieu VALBUENA et dans laquelle Karim BENZEMA a été mis en cause,
Et celle du prétendu chantage de deux journalistes du Journal Le Monde au préjudice du Royaume du Maroc
Ces deux affaires ont déjà donné lieu à des décisions de justice que je vous livre ici puisqu’elles intéressent non seulement les principes fondamentaux du procès pénal mais également les circonstances de deux enquêtes qui ont intéressé la France entière.
Et je suis bien loin ici de débattre sur la culpabilité ou l’innocence des différents mis en examen, bien trop respectueuse du principe de la présomption d’innocence dont je suis la garante.
Dans ces deux affaires, parmi les preuves soumises aux juges d’instruction en charge de ces enquêtes respectives, figuraient des enregistrements.
1° Dans l’affaire de la « Sextape », je vous rappelle les faits, M. VALBUENA a déposé plainte pour des faits de chantage après avoir été contacté, selon ses déclarations, le 3 juin 2015 par une personne prétendant détenir un enregistrement audiovisuel à caractère sexuel dans lequel il apparaissait.
UN PEU DE DROIT
Au stade de la plainte, il convient de vous préciser que les policiers sont sous l’autorité du Procureur de la République lequel peut décider d’ouvrir une enquête et donne dans ce cadre des pouvoirs et des instructions précises au policier affectés à l’enquête.
A l’issue de cette enquête, le Procureur est juge de l’opportunité des poursuites, c’est-à-dire qu’il peut :
considérer qu’il n’existe pas d’élément établissant la commission d’une infraction et classer sans suite
considérer qu’il existe des indices graves, précis et concordants et convoquer les mis en cause à une audience correctionnelle où ils seront jugés sur les faits qui leur sont reprochés par le Parquet
considérer que l’affaire est suffisamment complexe pour nécessiter un temps supplémentaire à l’enquête et dans ce cas saisir un juge d’instruction qui va prendre le relais et instruira à charge et à décharge.
Au stade de la simple plainte, M. VALBUENA a indiqué aux enquêteurs qu’il ne souhaitait ni ne pouvait entrer lui-même en relation avec les détenteurs de l’enregistrement.
C’est dans ces circonstances que le Procureur de la République a autorisé la police judiciaire à représenter la star du ballon rond dans la négociation.
Un commissaire de Police s’est ainsi présenté sous un pseudo comme représentant les intérêts du footballeur et a participé du 20 juin au 12 octobre 2015 à plusieurs conversations téléphoniques avec une personne se présentant comme l’intermédiaire des détenteurs de la « sextape ».
Vu l’ampleur et la durée de ces « négociations », un juge d’instruction a été saisi le 31 juillet 2015 et les principaux protagonistes de l’affaire ont été interpellés le 13 octobre 2015 ;
Certains d’entre eux ont été mis en examen le 5 novembre 2015 et sans violer le secret de l’instruction laquelle a été excessivement médiatisée, K.BENZEMA était l’un de ces mis en examen.
Le 4 mai 2016, plusieurs confrères parmi lesquels celui de K.BENZEMA ont sollicité l’annulation de cette procédure.
L’avocat de K. BENZEMAN soutenait que la violation du secret de l’instruction qui avait nécessairement fait grief au footballeur qui, c’est un fait, était sélectionnable en équipe de France.
De nombreux organes de presse, de radio ou de télévision : Closer, le Parisien, l’Equipe, le Monde, l’AFP, Europe 1… ont non seulement commenté l’évolution de la procédure mais ont publié des passages de procès-verbaux d’interrogatoires de K.BENZEMA ou des autres protagonistes, des retranscriptions des écoutes téléphoniques.
Si cette violation n’est pas en soit contestée par la Chambre de l’instruction, elle n’est pas reconnue comme une cause de nullité de la procédure puisqu’elle n’a pas influencé l’enquête ni l’instruction en cours.
Cette violation peut en revanche ouvrir droit, pour celui qui s’en prétend victime, au recours prévu par l’article 9-1 du code civil relatif au respect de la présomption d’innocence qui semblerait avoir été bafoué directement ou indirectement s’agissant d’une personnalité très en vue et désormais controversée.
Il était également demandé l’annulation des écoutes téléphonique dès lors que le Commissaire de police qui disait représenter VALBUENA aurait, sous couvert d’un pseudonyme, provoqué les malfaiteurs à commettre l’infraction de tentative de chantage.
Ces écoutes étaient-elles déloyales ?
Le policier présenté sous un pseudo comme représentant de VALBUENA a-t-il provoqué ou incité à la commission de l’infraction de chantage ?
La Cour de cassation répond par oui.
Elle estime qu’en prenant contact avec différentes personnes en vue de les « inciter à », le Commissaire a manifestement provoqué la commission de nouvelles infractions du même type.
Et que pour écarter l’existence d’une provocation à la commission de l’infraction, il aurait fallu mieux rechercher le rôle actif joué par ce Commissaire.
Parmi les éléments qui viennent confirmer la thèse de l’incitation, le fait qu’après plusieurs semaines de silence des maîtres chanteurs, c’est l’officier de Police sous son pseudo qui a pris l’initiative de les rappeler, de diriger la conversation, d’aborder la question financière.
2° Dans l’affaire des journalistes du journal Le Monde contre le Royaume du Maroc, ce dernier a dénoncé en 2015 au Procureur de la République des faits de chantage et d’extorsion de fonds en joignant à sa plainte l’enregistrement d’une conversation qui s’était déroulée le 11 août précédent entre le représentant de cet Etat et Eric LAURENT, l’un des auteurs d’un livre paru en 2012 sous le titre “Le Roi prédateur”.
Au cours de cette conversation enregistrée, le journaliste aurait sollicité le paiement d’une somme d’argent contre la promesse de ne pas publier un nouvel ouvrage consacré au souverain marocain.
Une enquête préliminaire était immédiatement ouverte par le Procureur de la République sur ces faits (voir UN PEU DE DROIT).
Le 21 août suivant, une nouvelle conversation se tenait en un lieu placé sous la surveillance des enquêteurs, et faisait ainsi l’objet d’une retranscription sur procès-verbal par ces derniers sur la base de l’enregistrement effectué par le représentant de l’Etat.
Un juge d’instruction était alors saisi de cette enquête qui prenait de l’ampleur…
Un nouveau rendez-vous se tenait le 27 août 2015 avec les deux journalistes auteurs de l’ouvrage précité, dans un lieu également placé sous surveillance policière et où la conversation, toujours enregistrée par le représentant de l’Etat marocain, était retranscrite par la police sur procès-verbal.
A cette occasion, des sommes d’argent étaient remises par le représentant du Royaume du Maroc aux deux journalistes, qui étaient ensuite interpellés en possession des 80 000 euros et d’exemplaires de l’engagement de renonciation à publication.
Les deux journalistes étaient mis en examen pour chantage et extorsion de fonds les 28 et 29 août 2015.
Ils demandaient l’annulation des procès-verbaux de retranscription des enregistrements qu’ils considéraient illégaux.
Selon les avocats de ces journalistes, les enquêteurs ne pouvant pas juridiquement procéder à la sonorisation de l’endroit où avaient lieu les rencontres, y ont procédé indirectement et illégalement, par l’intermédiaire du représentant du plaignant, détournant ainsi la loi restreignant les écoutes.
Ils essayaient de démontrer la participation indirecte, par instigation et interdite des enquêteurs dans ces écoutes par leur présence constante sur les lieux des rencontres, la remise à ceux-ci, par le plaignant, des enregistrements suivis de leur retranscription ainsi que les contacts réguliers entre les enquêteurs, le représentant de l’Etat marocain et l’autorité judiciaire.
Ces arguments ont été rejetés et les enregistrements considérés comme des preuves loyales car il apparaissait légitime, de la part d’une victime ayant déposé plainte pour chantage et extorsion de fonds, d’informer les enquêteurs de l’avancement des démarches de ceux qu’elle accuse.
Pour la Cour de Cassation, les services de police et les magistrats, saisis d’une telle plainte, se devaient d’intervenir pour organiser les surveillances de nature à confirmer ou infirmer les dires du plaignant et, si nécessaire, interpeller les auteurs.
3° Voici donc deux affaires où les preuves sont apportées au moyen d’enregistrements mis en place et organisés de manière totalement différente dans chacune des deux affaires.
Dans la première par les autorités de police qui en sont d’ailleurs des acteurs sous pseudonyme, dans la seconde par le plaignant qui livre en temps quasiment réel les enregistrements aux autorités en leur demandant de surveiller les abords des lieux des rendez-vous enregistrés.
Retenez donc que la finalité ne permet pas tout ; qu’en droit français, les principes fondamentaux de loyauté, de présomption d’innocence et d’égalité des armes prévalent encore.
Mais quand la police peut-elle intervenir ?
Tant que l’intervention de l’agent a pour effet exclusif de révéler des infractions déjà commises ou en train de se commettre et d’en arrêter la continuation.
Tant qu’elle n’incite pas une personne à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise.
Tant que l’intervention de l’agent n’a en rien déterminé les agissements délictueux du prévenu.
La question se posera toujours de ce qui se serait passé dans l’affaire de la Sextape sans la relance de ce commissaire de Police…